|
Après tant de vie, Robert FALLUT nous quitte.
Au retour du voyage qui lui permis de rendre hommage à un de ses camarades de déportation, Robert avait fait une halte de la mémoire à Oradour... quelques jours avant de nous quitter.
|
Robert FALLUT était né à Buxières les Mines, dans la ferme de ses parents métayers à Ditière. Le bénéfice d'une bourse d'étude lui a permis de poursuivre ses études à Moulins après l'école communale, mais la suppression de cette bourse par Laval signa aussi la fin de sa scolarité secondaire.
Passionné d'aviation, Robert ne rechignait pas à faire le chemin en vélo jusqu'à l'aérodrome de Moulins où il apprit le pilotage. C'est cette compétence qui le fit affecter dans l'aviation avec son entrée à l'école de l'Armée de l'Air d'Istres. Il avait suivi le repli de l'école d'Istres en Algérie, et c'est de l'autre côté de la Méditerranée qu'il s'est fait démobiliser sans rentrer immédiatement en bourbonnais, trop méfiant qu'il était par rapport au gouvernement de Pétain.
De retour en métropole c'est l'article d'Aragon qui relatait le massacre de Châteaubriant dans l'Humanité clandestine qui finit de la décider à entrer activement en résistance. Sur ses terres buxiéroises il eut vite fait de renouer le contact avec les responsables du Front National ; et très rapidement il fut investi de responsabilités au sein des Forces Unies de la Jeunesse Patriotique. Organiser et mobiliser les jeunes communistes pour recruter les forces utiles aux prémices de la Résistance étaient les premières préoccupations de Robert. Avec la distribution de tracts et de journaux clandestins la Résistance commençait à prendre corps. La menace se faisait plus pressante autour de lui, et à la fois pour sa sécurité et pour contribuer à l'organisation clandestine des jeunes communistes, c'est à Saint Etienne que Robert est envoyé pour encadrer l'organisation sur le département de la Loire et ses environs. Cette expérience de la clandestinité dans un secteur qui lui était tout à fait inconnu l'avait particulièrement marqué ; mais les épreuves qui l'attendaient étaient d'une toute autre dimension. Après son arrestation il fut emprisonné au secret, sans aucun contact avec quiconque des autres prisonniers, une solitude ô combien pesante avec la menace constante de la violence des interrogatoires et l'inquiétude du lendemain.
Après les bombardements de la Prison Saint Paul de Lyon où il croupissait, et une tentative d'évasion avortée avec ses codétenus, c'est par les autorités françaises que les prisonniers furent livrés aux allemands qui allaient les convoyer  vers Dachau le 29 juin 1944. Le voyage a duré trois jours dans des wagons de voyageurs qui emmenaient également des soldats allemands qui se repliaient. Le passage de Robert à Dachau ne dura guère qu'une journée, le temps du tri qui l'envoya dans un commando de travail au camp de Kempten. Là -bas, affecté au commando dit des casernes il faisait matin et soir le chemin du camp au chantier et les caillassages réguliers par les gamins du village faisaient dire à Robert qu'il n'était pas possible que les allemands ignorent les camps !
Survivre, une heure, un jour, tant n'en sont pas revenus, un quignon de pain dur gardé du soir au lendemain, ralentir, penser et observer, rester avec les autres, solidaire et attentif… tout était vital dans cet enfer. Un mot de trop, un conseil de ralentissement à ceux qui travaillaient trop vite… un jour les coups sont tombés plus forts qu'à l'habitude. Robert en réchappe mais restera marqué à vie.
Mais pour gagner ce temps d'après encore avait-il fallu être libéré. L'évacuation des camps, la mise sur les routes des milliers de prisonniers dans ce qui fut souvent la marche de la mort, quand tout se précipitait en avril 1945 : c'est là que Robert fut abandonné avec son groupe de déportés par des gardiens pressés de se sauver. Il rappelait souvent le dernier épisode qui vit le gardien au chien sacrifier sa bête en signe d'abandon. Le retour ne fut pas pour autant facile ; camion puis train jusqu'en France. Et c'est là que l'expérience de la déportation infligea à Robert une autre humiliation, une blessure qui ne s'est jamais refermée : quand les ouvriers volontaires ou requis pour le travail en Allemagne regagnaient la France sur les banquettes des trains de voyageurs les déportés n'avaient droit qu'aux wagons à bestiaux qui en avaient tant conduit à leur perte.
Au retour la vie avait repris son cours ; mais les traces ne s'effacent pas. Les coups de trop à Kempten feront l'enfer de Robert, de douleurs incessantes jusqu'à son opération à la fin des années 60, une première en matière de microchirurgie réussie.
Famille et travail remplissent déjà bien la vie de Robert, mais elle ne va pas sans la poursuite de ses engagements militants sur lesquels il va greffer l'arbre qui va porter ses plus beaux fruits : son travail de mémoire. Depuis son retour Robert n'a eu de cesse de travailler à rassembler tous les témoignages et les indices propices à la meilleure connaissance de la Résistance et de la Déportation. Son infatigable ardeur à témoigner auprès des jeunes des collèges et des lycées laisse des traces indélébiles dans les générations nouvelles qui ont eu le privilège de le connaître. La mission de conservation et de diffusion de la mémoire exigeait aussi des traces, c'est ce qui l'a poussé à écrire, à rassembler dans deux ouvrages ce qui va rester pour témoigner d'une vie aussi remplie qu'il la voulait modeste.
76076, ces chiffres accompagnaient la signature de Robert à la dédicace de ses ouvrages pour bien marquer l'identité un temps volée dans la violence prisonnière des camps, et qui concentrait tous les ingrédients de cette autre existence dans la parenthèse qui pour beaucoup marqua aussi la fin tragique d'une vie.
La Légion d'honneur qu'il reçut très tardivement, marque une reconnaissance bien méritée par un homme rayonnant qui a passé sa vie à construire le bonheur des autres. Et pour celles et ceux qui s'attachent à la préservation et à la diffusion de notre patrimoine mémoriel de la Résistance et de la Déportation, à qui il a su enseigner les exigences de la vérité et de la justice qui font la liberté,  Robert restera une référence d'honnête homme.
Daniel Levieux
Comité local e l'ANACR Meillard-Le Montet
Â
|
Prise de parole au nom de l'ANACR lors de la cérémonie du 18 octobre 2013 à Buxières les Mines (Daniel Levieux).
Â
"Monique, et Michèle, aux enfants, et à toute votre famille je présente, au nom de l'ANACR, nos plus sincères condoléances dans le deuil qui vous frappe.
Votre peine, même partagée par tous ceux qui vous accompagnent aujourd'hui n'en est pas amoindrie, mais je vous assure de tout notre soutien dans ces moments difficiles.
A ma parole de vice-président du comité départemental de l'ANACR je voudrais surtout ici ajouter le propos d'un ami et vous faire partager quelques bribes de l'expérience d'une vie croisée par celle de Robert.
Certains d'entre vous l'ont connu plus longtemps que moi, mais notre première rencontre remonte déjà loin au siècle dernier, à quarante ans passés… Robert avait entrepris son œuvre de Grand Témoin et venait apporter à mes élèves la dimension humaine de l'histoire et initier à cette belle dialectique des hommes qui font l'histoire, cette histoire qui fait les hommes…
C'était le début d'un chemin que depuis nous avons parcouru ensemble, d'un long parcours d'apprentissage pour moi, d'échanges et de partage.
« C'est mon ami et c'est mon maître… » dit la chanson…
Cet ami, Robert l'a toujours été dans cette forme de franche camaraderie qui peut s'affranchir des générations et qu'il avait heureusement expérimentée dans les épreuves de sa jeunesse : avec lui savoir pouvoir compter sur l'autre avait son importance. C'est un joli nom camarade, entre nous Robert le portait haut.
Le maître qu'il a été n'était pas celui qui dit ou qui dicte, mais celui qui ouvre le chemin de la connaissance avec vous. Ecoute attentive, rigueur et exigence, confiance… en bon pédagogue, Robert savait mettre la juste pression.
Robert ne parlait pas d'hier, il parlait d'aujourd'hui dans le présent des autres avec cette constante exigence de nouer les fils du passé aux ressorts du présent pour mieux projeter l'avenir.
Avec Robert la place était rare pour ceux qui prennent quelque liberté avec l'histoire. La mémoire de quelques-uns doit toujours trembler de ses justes emportements sur des ré écritures approximatives ou mensongères de l'histoire… Tout comme il raillait sans complaisance les prétentions de ceux qu'un autre ancien baptise les « naphtalinards », résistants de la 25ème heure !
Avec Robert on ne s'endormait jamais sur Radio Nostalgie et l'avis de tempête était assuré dès qu'un journal télévisé distillait son chapelet de nouvelles propres à l'alimentation des révolutions de comptoir. Son expérience, sa vie et la vivacité de son jugement en faisaient un commentateur extraordinairement pertinent. C'est un plaisir que nous sommes quelques-uns à avoir eu le privilège de partager sur tous les sujets possibles, de la politique internationale à la vie locale, des problèmes économiques ou de tout ce qui fait la vie sociale. De la pensée bien claire, de celle qui fait dans l'incontournable et qui permet d'afficher modestement sa certitude.
Pas peu fier de ses gènes rebelles, Robert ne manquait pas de rappeler la mémoire d'un de ses ancêtres déporté sous Napoléon III en Nouvelle Calédonie…
Mais parfois sa confidence devenait douloureuse qui rouvrait la cicatrice du retour de déportation, des wagons à bestiaux et de la paille quand d'autres…
… du peu de cas des déportés revenus et qui pouvaient nourrir le sentiment d'être honteux d'être encore vivants quand tant d'autres…
C'était une douleur difficile à partager. C'est certainement aussi ce qui l'a rendu si ardent à chercher à savoir et à faire connaître ce que fut la résistance pendant son absence.
L'agrément dans l'amitié de Robert tenait aussi à l'éclectisme de ses préoccupations, de ses goûts et de ses talents.
Il ne s'éparpillait pas pour autant, car toujours la perspective des « jours heureux » -comme titrait si bien le programme du CNR- l'animait et guidait son action.
« C'est pour laisser des traces d'hier aux lecteurs d'aujourd'hui que j'ai écrit ce livre ; pour que chacun puisse mettre en résonnance les évènements, actions des hommes d'avant-hier avec ceux d'aujourd'hui. C'est une bien modeste contribution à l'obligation pédagogique des générations qui se doivent d'élever et d'instruire les plus jeunes à la lumière de leur expérience, non pas dans la logique du modèle, mais bien dans l'exercice du libre arbitre qui se nourrit de la connaissance. », disait-il en parlant de « Hoche »…
Robert aimait la vie, une vie qui ne l'a pas ménagé, une vie d'épreuves, de souffrances, mais il avait la vie tellement chevillée au corps qu'elle a longtemps effrayé la mort, dans une jeunesse de Résistance et de déportation dont il revient meurtri, dans l'épreuve des séquelles si longtemps douloureuses, avec la perte de ses yeux… Et jusqu'à ses derniers jours où la fatigue l'emporta.
A l'inverse de la rage qui faisait pester son esprit rebelle contre toutes les injustices, les misères faites au monde, contre toutes les fausses-routes des politiques ruinant les espoirs nés d'une victoire bientôt vieille de 70 ans, Robert était aussi le jardinier amoureux des plantes et l'ami des abeilles.
Matin et soir, avec un soin méticuleux et bien à sa façon, avec une connaissance sans égal, Robert cultivait son jardin comme sa vie, non sans une certaine fierté du travail bien fait, toujours heureux de faire partager sa cueillette précoce.
L'épreuve de la perte de la vue avait été terrible pour Robert ; mais il avait tenté de la surmonter en usant de beaucoup de stratagèmes pour continuer son jardin sous les serres, pour lire et écrire autrement. Terrible punition et formidable espoir quand je le revois m'annonçant qu'il avait dit oui à l'ophtalmo qui lui proposait de l'opérer pour lui redonner un peu de sa vision perdue.
Si ces derniers mois ses visites au jardin n'étaient plus que visites de courtoisie, son œil et son sourire disait encore sa satisfaction de voir ses serres réparées après les coups de vent, les copains s'en souviennent.
Robert aimait la vie, même si la sienne n'a pas toujours été belle ; il aimait partager son meilleur vin ou son excellent whisky pour accompagner nos longues discussions, mettre les petits plats dans les grands à « la cantine » des Tilleuls pour des retrouvailles chaleureuses en famille et entre amis.
Robert aimait travailler, et il ne se passait pas de jour avec lui qui ne voit germer une idée nouvelle ; il y a tant de choses à faire qu'il me semblait toujours dire « prenons le temps de nous dépêcher », un peu comme si nous devions nous assurer toujours de ne pas rater la correspondance…
Il m'en reste la trace indélébile d'une grande confiance et d'une complicité qui nous épargnait parfois l'usage des mots, la main ou le sourire disait le reste.
Robert nous quitte, et les souvenirs se bousculent déjà à la porte de la mémoire :
- Notre belle rencontre du printemps dernier avec les collégiens de St-Pourçain avec Roger, Lucien et Janine…
- La dénomination du collège de Tronget au nom de Charlotte DELBO il y a quelques années quand Simone Sampaix était encore là …
- La réalisation de son dernier livre sur l'histoire un peu trop oubliée de la Résistance précoce de Montluçon à Meillard…
- Les visites pour porter le témoignage de sa vie aux collégiennes d'Aigueperse ou d'ailleurs…
- Les formidables rencontres avec ses amis, Genia, Robert ou Walter, et les autres…
- Le souvenir du couple qu'il formait avec Suzanne, du bonheur des petits enfants et de la joie partagée des dernières naissances, autant de pépites à conserver précieusement.
Robert a tant vécu, qu'il en faudrait du temps pour que nous en partagions l'ampleur dans toutes ses dimensions.
Toute une vie debout sur la route de l'engagement Robert Fallut avait choisi le parti pris de la vie,
… le parti pris de la liberté
… le parti pris des valeurs humanistes et républicaines.
Toutes celles et ceux qui ont partagé son amitié, ses combats et ses convictions lui doivent leur plus juste reconnaissance.
Pour conclure, je vous inviterai à solliciter le souvenir de Robert quand votre chemin se fera plus rude, je suis sûr qu'il vous aidera.
Nous avions célébré ici la mémoire de Pierre Villon il y a quelques temps, et celle de Georges Gavelle à Tronget. Comme nous avons tous notre petit Panthéon intérieur, je vous invite à y accueillir Robert parmi nos grandes figures de la Résistance et de la déportation.
Nous ne l'oublierons Jamais.
Daniel LEVIEUX
|