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Remise de la Légion d'Honneur à Lucien Depresle, 1er avril 2017 à Meillard

Récit en préambule à la cérémonie : le village des Champs en temps de guerre…

Au nom de notre comité ANACR Meillard-Le Montet, et aussi au nom d'une vieille amitié qui nous lie Lucien et moi, j'ai le plaisir e vous accueillir et vous souhaiter la bienvenue ; l'un et l'autre ce sol a vu nos premiers pas ;

Arrivés en 1923, nos grands-parents vivaient du travail de la terre et au fil des années voyaient arriver la menace d'une seconde guerre mondiale. A la mobilisation en septembre 1939, deux hommes quittaient leur foyer qu'ils ne retrouvèrent que 5 ans plus tard.

Si l'armistice de juin 1940 fut accueilli avec soulagement, bien vite les villageois devinrent septiques et refusèrent la collaboration avec l'Allemagne prônée par Pétain et ses sbires. Puis des informations concernant l'appel du 18 juin circulèrent et inculquèrent des idées de résistance. C'est alors que la famille Depresle s'engagea dans le combat, celui-ci se concrétisa par l'installation dans les bois, en mai 1943 du &er maquis FTPF de l'Allier qui prit alors le nom de « Camp Hoche ». Plusieurs familles du village apportent une aide alimentaire à ceux qualifiés de « terroristes » par les partisans de la collaboration et de l'armée allemande. En septembre 43, ils quittent le camp pour continuer le combat en d'autres lieux. En leur mémoire, une stèle érigée en 1954 témoigne de leur sacrifice.

Ce village a subi la barbarie nazie.

Le 21 mars 1944, dans la matinée, le boulanger effectue sa tournée hebdomadaire et stationne vers ce portail, chaque ménagère va chercher son attribution de pain ; c'est alors que surgissent deux Tractions et un camion de soldats allemands. Certains encerclent le village tandis que d'autres jettent dans la mare le contenu de la voiture du boulanger ; d'autres s'acharnent sur Lucienne Depresle et sa fille Simone qui rejoignent leur maison. Lucienne est frappée au visage au point qu'elle devient méconnaissable, ses bourreaux la font rentrer dans la maison ou l'interrogatoire continu tandis que Simone est interrogée à l'extérieur. Ils voulaient savoir où était son frère Jean, qui la veille au soir était sorti en vélo. Simone nie cette sortie bien réelle. Toutes les maisons du village sont fouillées. Ma maman, rentrée avec son pain n'ayant pas vu l'arrivée des véhicules discutait avec ma grand-mère et deux STO (un qu'elle hébergeait et un copain en visite) ; La prise était facile ; ma grand-mère est interrogée sur le contenu de la famille tandis que ma mère et les réfractaires sont conduits face au mur de l'écurie des Depresle où les rejoignent Madame Berthomier et son beau-père puis Lucienne et Simone. Les mains sur la tête, ils restent ainsi environ une heure et demie. Pour moi, ce mur est un symbole, d'où notre présence ici même. Le pillage continu dans la maison Depresle : main basse est faite sur l'argent et les bijoux.

Leurs méfaits achevés, Lucienne et Simone sont poussées dans une voiture, les deux STO dans l'autre et direction St Pourçain au siège de la Feldgendarmerie. Leur transfert à la Mal-coiffée a lieu dans l'après-midi. C'était le jour anniversaire de Simone : 15 ans. Des membres de la famille et ma maman se relaient pour récupérer le linge sale où quelques nouvelles sont parfois glissées dans les chaussettes, et rapporter le linge propre.

Le 5 juin 1944, Simone libérée a rejoint le village à pieds après sa descente du car à la Racherie.

Plus aucune nouvelle de Lucienne, nous saurons en avril 1945 qu'elle fut déportée au camp de Ravensbruck, date à laquelle sa famille est avertie qu'elle est rapatriée à l'hôpital d'Annemasse. So mari et ses deux fils se rendent à son chevet. Imaginez sa joie de les savoir bien vivants, mais pour eux quelle douleur en découvrant son état physique. Une huitaine de jours après elle est ramenée « Aux Champs ». Soixante et onze ans après, je porte encore en moi la vision que j'aie eue en entrant dans sa chambre. Je revois son visage blafard, émacié, ses yeux profonds, ses cheveux ternes, son corps amaigri, son faible sourire en me reconnaissant, qui laisse apparaître des dents déchaussées. C'est une vision que je ne peux oublier. Je la revois aussi le 8 mai 1945, alors que pourtant sonnaient les cloches de l'Armistice, demandant d'ouvrir la fenêtre de sa chambre pour entendre.

Hélas sa vie fut de courte durée ; elle s'est éteinte le 25 mai 1945. Ma maman a procédé à sa toilette funèbre et a souvent évoqué ses mains pleines de pus après l'avoir soulevée pour la vêtir.

Il reste peu de survivants de cette époque ; c'est pourquoi je me suis engagée au sein de l'ANACR pour apporter le témoignage de ce que j'ai vu et pour essayer de faire comprendre aux jeunes générations jusqu'où une idéologie peut anéantir l'humain.

Merci à vous pour votre présence et votre attention.

Jeannine DUFOUR, vice-présidente du Comité Local Meillard Le Montet