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Remise de la légion d'honneur à Lucien Depresle, Meillard le 1er avril 2017

Eloge du récipiendaire par Jean-Claude MAIRAL


Chers amis,

Chers camarades,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très honoré, très heureux et très fier d'être parmi vous aujourd'hui pour remettre la Légion d'Honneur à Lucien Depresle.

HONORE car je remets la plus haute distinction de la Nation à un homme, un camarade, à un Résistant qui a participé à la lutte contre le nazisme, contre la collaboration pétainiste et contre l'asservissement des peuples, pour la liberté; un homme qui toute sa vie a été engagé dans le combat pour le progrès social et la dignité des Hommes et des femmes, pour son pays, pour son département et pour sa commune dont il a été élu de 1953 à 1989, comme conseiller municipal, puis comme maire à partir de 1963 ; un homme attaché aux valeurs de la République de liberté, d'égalité et de fraternité ; un homme attaché à son territoire et à sa commune, Meillard ; un homme dont on ne peut que saluer l'humilité et la modestie, car pour lui ce qu'il faisait, il le faisait tout naturellement au service de l'intérêt général, de l'intérêt de la Nation et dans un combat partagé avec d'autres. Toute la vie de Lucien a été guidée par cette conception de l'action militante et publique. A l'opposé de ce que nous voyons trop souvent aujourd'hui au plan politique avec hommes ou des femmes guidées par l'ambition personnelle ou la guerre des égos sans lien avec l'intérêt général comme nous en avons malheureusement la triste illustration en cette période

HEUREUX de se retrouver aux côtés de Lucien, de sa famille, de ses camarades et de ses amis. Je ne peux m'empêcher cher Lucien d'avoir une pensée pour tous ces autres camarades résistants et amis résistants que tu as connus et côtoyés et qui sont aujourd'hui disparus : Georges Gavelle, Jean Ameurlain, Jeanne Depresles, Henri Courtadon, Jacques Guillaumin, Pierre Cluzel, Francis Mitton, Andrè Puyet. Henri Guichon, Jean Duffaut dit « Sapin », le commandant Brigand dit « Verneuil », Charles Léger dit « la pipe », Edmond Civade, Robert Fallut, Jean Marie Livernais, Robert Joyon, Pierre Villon, Georges et Lucien Aurembout et bien d'autres encore. Ils ont été et le sont toujours, des marqueurs de mon engagement et de celui des gens de ma génération nés après-guerre.

Je ne peux m'empêcher de penser à ces femmes et ces hommes d'origine étrangère, espagnol, italiens, allemands, polonais, portugais, etc. qui dans les rangs de la Résistance intérieure ou ces sénégalais, maliens, algériens, marocains, etc. dans l'armée de Leclerc combattirent pour la liberté. Il n'y avait pas de bon ou de mauvais français comme ne cessaient de le marteler Pétain et Laval, non il n'y avait que des hommes et des femmes unis dans un même combat celui de la dignité humaine contre la barbarie. En ces temps troublé où montent l'intolérance et le rejet de l'autre, Lucien, toi et tes camarades vous nous avez donné une belle leçon d'Humanité et de respect des valeurs de la République.

FIER d'être là pour t'honorer, toi qui comme tous tes compagnons de lutte, agissaient avec honneur pour la France, avec un seul objectif celui de vaincre le nazisme, de libérer la France et de créer un avenir meilleur pour tous. Et cela ne fut possible que parce que la résistance qui était certes celle d'Hommes et de femmes déterminés et courageux, a su rassembler toutes les forces qui combattaient par-delà les attaches partisanes ou religieuses, gaullistes, communistes, socialistes, démocrates-chrétiens, républicains. Y compris certains monarchistes patriotes comme le prince Xavier de Bourbon-Parme qui hébergea les maquisards FTP du maquis Danielle Casanova dans la propriété de son château de Bost à Besson.  Ce qui lui valut d'être arrêté et déporté à Dachau

De ce rassemblement de toutes les forces de la Résistance unie émergea le programme audacieux et ambitieux du CNR avec toutes les conquêtes sociales à la Libération.

Comme le dit si bien Aragon :

« Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Qu'importe comment s'appelle cette clarté sur leur pas

Que l'un fut de la chapelle et l'autre s'y dérobât

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Tous les deux étaient fidèles des lèvres du cœur des bras

Et tous les deux disaient qu'elle vive et qui vivra verra

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Quand les blés sont sous la grêle fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat. »

 

Et cet extrait du magnifique poème d'Aragon, « la rose et le Réséda » est plus que jamais d'actualité.

Oui, cher Lucien je suis Honoré, heureux et fier d'être à tes côtés aujourd'hui pour ce que je viens d'exprimer, mais aussi parce que ton engagement personnel de Résistant aurait pu se terminer tragiquement comme ce le fut pour ceux qui périrent comme jean marie Burlaud que tu as bien connu, assassiné par les allemands lors de la Libération de Moulins à laquelle tu as participé,

Quand on lit la note que m'a fourni Daniel Levieux, que je remercie, on ne peut qu'être impressionné par ce que tu as vécu. Et cette note qui s'intitule « 5 années d'une vie tourmentée » porte bien son nom. Je ne vais pas vous raconter dans le détail, ce que fut la vie de Lucien durant cette période, je me contenterai de quelques éléments montrant ce que fut l'engagement, la détermination, le courage et l'esprit d'initiative de Lucien Depresle, au risque de sa vie.

Le parcours de Lucien Depresle illustre pleinement ce qui permit à la Résistance de prospérer au cœur du Bocage Bourbonnais. Quand la guerre éclate le petit village des Champs est surtout peuplé de rebelles à la capitulation. Le père Depresle, François (dit Francis) avait fait la guerre de 14... l'engagement communiste partagé par beaucoup avait forgé de fortes personnalités, et quand les responsables de la Résistance montluçonnaise envisageaient l'installation d'un premier maquis ils ont trouvé là ce qu'ils cherchaient. Le parcours de Résistance de Lucien Depresle part de là.

Militant à l'UJARF (Union des Jeunesses Agricoles Républicaines de France) dès 1938, Lucien Depresle adhèrera au Parti Communiste clandestin en novembre 1941. Il participe au travail de réception et de diffusion de tracts et de journaux clandestins sur les communes de Meillard et Treban.

Lucien Depresle travaille aussi à la récupération des armes, notamment en 1943 il récupère les armes cachées lors de la débâcle de 1940 dans un chêne têtard dans un pré de Chapillière : sept fusils Lebel et un fusil mitrailleur qui furent confiés aux combattants du Camp Hoche

Suite à de nombreux contacts c'est le secteur de Meillard qui sera choisi pour l'implantation du camp. C'est Lucien Depresle qui fera partager l'idée d'accueillir le maquis à son père Francis. Ce maquis se situait dans les bois des Champs au fond de la vallée du Douzenan. Le lieu était sûr du côté nord, protégé par le village des Champs sur le plateau. Il devait accueillir les clandestins du groupe armé de Montluçon ville grossi des jeunes empêchés de partir dans le train de la réquisition du 6 janvier 1943.

C'est ainsi que s'est décidée le 20 mai 1943, l'implantation du Camp Hoche (répertorié par le Général de la Barre de Nanteuil dans son Historique des Unités combattantes de la Résistance de l'Allier sous le nom de « maquis de Saint-Pourçain »).

Lucien Depresle s'occupe alors du ravitaillement des maquisards, ce qui n'était pas toujours évident à l'époque. A l'approche de l'automne, quand le maquis a déménagé à Veauce, il poursuivit ce travail de ravitaillement que l'on venait, notamment Georges Gavelle, chercher régulièrement aux Champs. Et ce n'était pas sans risque. Parallèlement il apporte un soutien logistique à la couverture et à la protection de militants poursuivis par la gestapo, notamment Jean Burles, responsable national du PC clandestin après son évasion de la prison du PUY

Lucien Depresle va refuser de rejoindre les Chantiers de jeunesse dans le Lot et Garonne à Marmande où il est convoqué. Il rentre alors dans la clandestinité. Il part se cacher chez Francis Cognet aux Cantes à Cressanges début novembre 1943.

Lucien participe toujours au recrutement des FTP tout en travaillant à la ferme, clandestin sans carte d'alimentation…

Et ce fut ce jour terrible du 21 mars 1944 avec l'arrestation de la maman de Lucien qui sera déportée à Ravensbruck et décédera 2 mois après son retour des camps,  et de sa sœur Simone, 14 ans qui sera amenée à la Mal coiffée à Moulins. Lucien est caché dans divers lieu du canton. Il continue à prendre des contacts, avant de rentrer au maquis Danièle Casanova le 10 juillet. Il y retrouve les soixante-dix combattants installés à Renaudière et d'où ils partent en opération dans tous les environs.

Mais le soir du 15 juillet, le camp sera attaqué, à la tombée de la nuit. Les résistants sont repoussés par les allemands armés de fusils mitrailleurs et de grenades offensives. Alors commence une évacuation à haut risque. Sous le feu des allemands, Lucien Depresle, connaissant fort bien le terrain, prend le commandement de l'opération. Il conduit la petite cinquantaine de combattants par les sentiers qui lui sont familiers dans le bois. Mais l'errance ne va pas s'arrêter là. Car pris à partie par les GMR et la milice, ils doivent face au déséquilibre des forces se disperser par petit groupe de 7 ou 8 pour échapper à l'encerclement que les résistants et  sous le feu des GMR qu'ils se dispersent. L'errance va durer de nombreux jours pour échapper aux allemands et à la milice.

C'est ensuite le retour à l'action, notamment en participant à une petite vingtaine à la rafle de la garde du pont Régemortes (huit soldats allemands pris avec leurs armes). Et c'est la participation du 5 au 6 septembre à la libération de moulins

Entrant dans Moulins après le départ des allemands, ils se cantonnent au Quartier Villars le premier soir où le commandant Brigand assure la défense de La Madeleine….

L'Etat-Major des FFI-FTP regroupés ayant commandé la récupération des armes des GMR cantonnés dans un château en Sologne Bourbonnaise ; Lucien Depresle participe à cette opération sous les ordres du commandant Brigand.

La plupart des maquisards ont signé leur engagement pour la durée de la guerre ; l'Etat-major FFI FTP avait installé des formations pour les officiers et les sous-officiers à Châtel Guyon. En novembre 1944 Lucien Depresle y participe parmi les sous-officiers. Après deux mois de maladie suivis de deux mois de convalescence, Lucien rentre à la caserne à Montluçon en Juin 45 sans tirer aucun bénéfice de sa formation. Il fera fonction de sous-officier sans en avoir officiellement le grade. Le 5 août 1945 le groupement de Montluçon quitte son casernement. Envoyés par groupes de 200 jusqu'à Colmar les soldats sont distribués dans les compagnies de garde de prisonniers. Lucien Depresle arrive ainsi à Saint-Louis près de Bâle, dans une ancienne usine de pièces d'aviation où 3000 allemands sont gardés prisonniers. Avec trois officiers et une vingtaine d'autres soldats Lucien sera leur gardien. Le rythme de 24 heures de garde pour 24 heures de repos s'impose faute d'effectifs suffisants.

C'est là que Lucien Depresle, faisant fonction de sergent-chef sans avoir vu son grade reconnu, sera démobilisé fin novembre 1945.

Mais il continuera son action au sein du PCF et comme élu puisqu'il sera élu de Meillard de 1953 à 1989, comme conseiller municipal jusqu'en 1963, puis maire.

Cher Lucien, tu es un des derniers témoins avec quelques autres dont Lucien Guyot et

dont je salue la présence, de cette terrible période, la barbarie élevée à son plus haut niveau, la trahison d'une partie de l'élite de notre pays se roulant dans la fange de la collaboration, mais aussi le courage et l'abnégation d'une jeunesse dont tu faisais partie qui n'ont pas cédé au désespoir de la défaite et ont choisi le chemin de l'honneur au risque de perdre leur vie, et nombre d'entre eux l'on perdue, fusillés, massacrés, déportés. Tu es né en 1923 au lendemain de la guerre terrible de 1914-1918, au lendemain du traité de Versailles de 1919. On proclamait alors que c'était « la der des der », que l'on ne connaîtrait plus la guerre. Et pourtant 20 ans plus tard une 2ème guerre mondiale débutait avec quelques années auparavant l'arrivée de Hitler au pouvoir et le développement des ligues fascistes.

Plus de 70 ans après la fin de la seconde guerre mondiale on voit poindre de nouveau des nationalismes en Europe et ici en France. Depuis 1945 la France n'a pas connu la guerre sur son territoire, ce qui est exceptionnel. Ce n'était pas le cas des générations passées qui au cours de leur vie furent confrontées à la guerre: 1940, 1914, 1870, les guerres napoléoniennes jusqu'en 1815, etc. 

Nos  générations nées après la seconde guerre mondiale, ont été bercées par les souvenirs racontés par les  parents et grands-parents, des guerres et des horreurs qu'ils ont connues. Mais les jeunes générations, celles qui ont 20, 40 ou 50 ans n'ont plus ces liens directs qui rattachaient aux souvenirs de ces guerres destructrices. Pour eux ce sont de simples pages d'histoire, comme l'était pour les générations d'après-guerre, celle de 1870. Les témoins des guerres de 14 et de 40 disparaissant, la parole du vécu n'étant plus là, les souvenirs s'estompent. La construction européenne, même si l'on a des critiques fortes à lui formuler, a permis de maintenir la paix. On oublie que jusqu'en 1945, la France et l'Allemagne étaient ennemis. Mais ce n'est pas parce que nous vivons en paix depuis si longtemps que celle-ci peut être éternelle ! Aucun pays n'est à l'abri de la guerre. La paix est fragile. Ne soyons pas des somnambules comme l'ont été hier ceux qui ont précipité l'Europe dans deux conflits mondiaux meurtriers.

Ainsi qui pouvait imaginer au début des années 70 quand je me trouvais à Sarajevo, que 20 ans plus tard nous assisterions à la dislocation de la Yougoslavie en tant que pays et à une guerre des plus barbares qui fera plus de 100000 morts, au cœur de l'Europe, à 2 heures de Paris?

Que l'on ne s'y trompe pas, ce qui s'est passé dans les Balkans, si demain les circonstances s'y prêtent, peut très bien advenir en France et dans d'autres pays européens ! C'est pourquoi nous avons besoin plus que jamais du devoir de mémoire.

Cher Lucien je sais que tu fais ce travail de passeur de mémoire auprès des jeunes générations avec l'ANACR et ses amis pour faire connaître ce que furent ses années terribles. En cela tu poursuis le combat qui a été le tien, un combat pour la paix, pour une société fraternelle, pour une Europe pacifique, démocratique et progressiste

Gardons en mémoire ce qu'écrivait Stefan Zweig, retraçant l'évolution de l'Europe de 1895 à 1941, dans "Le monde d'hier, souvenir d'un européen" avant de se suicider quelques jours plus tard en février 1942 : "Ma tâche la plus intime, à laquelle j'avais consacré pendant 40 ans toute la force de ma conviction, la fédération pacifique de l'Europe était anéantie. Ce que j'avais craint plus que ma propre mort, la guerre de tous contre tous, se déchaînait à présent pour la seconde fois. Et en cette heure qui réclamait plus qu'aucune autre une inviolable solidarité, celui qui avait travaillé passionnément toute une vie à l'union des hommes et des esprits se sentait plus inutile et seul que jamais du fait de ce soudain ostracisme dont on le frappait"

La vigilance doit être de tous les instants pour que ne renaisse pas la bête immonde.

 

Cher Lucien, merci pour ces combats que tu as menés toute ta vie et qu'honore cette légion d'honneur que je vais te remettre maintenant.