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On oublie souvent que la guerre a commencé en 1939 et non en 1940 ; et ce n'est pas sans conséquence pour la suite des événements.

André Sérézat retrace ici les grandes lignes de la situation du département à l'entrée en guerre dans le domaine économique et sur les approches idéologiques.

L'ALLIER A LA VEILLE DE LA GUERRE 39-45

La situation économique.

 

Quelle était la situation du département à la veille de la guerre ?

Il se trouve qu'un livre (1) achevé d'imprimer en novembre 1939, c'est-à-dire seulement deux mois après la déclaration de guerre, et intitulé « Bourbonnais 39 » se présente comme « la synthèse des activités et des aspects du département en 1939 ». L'ouvrage (qui est signé d'un collectif pratiquement officiel) s'annonce également « encyclopédie artistique et économique de la province » (sic). Nous ne lui en demanderons pas tant. Nous retiendrons surtout la partie économique (environ 90 pages sur 240).

LA POPULATION

La population de l'Allier est passée (de 1836 à 1936 donc en un siècle exactement), de 310 000 à 360 000 en chiffres ronds, mais diminue depuis 1891. Les 3 centres urbains du département affirment toutefois une progression nette et continue.

Les 3 premières villes sont:

  • MONTLUCON (40 000 hab.) qui a connu une très forte montée au cours des 100 dernières années ;
  • VICHY (25 000 hab.) qui a eu une progression fulgurante en 70 ans seulement ;
  • MOULINS (21 000 hab.) qui a légèrement progressé mais perdu sa première place pour la 3ème .

En ce qui concerne la densité de population, VICHY-ville écrase toutes les autres avec 4900 hab. au km2  devant MONTLUCON et banlieue (plus de 500 au km2) et MOULINS-YZEURE (près de 500 au km2).

L'AGRlCULTURE

Les surfaces occupées par le blé ont été multipliées par 4 en un siècle. Celles occupées par le seigle ont été divisées par 6 dans le même temps. Cette évolution est caractéristique d'un progrès.

Pour la vigne, on comptait, en 1892, 14 000 ha, on n'en cultive plus que 9000 ha. La reconstitution du vignoble détruit par le phylloxera à la fin du siècle précédent est loin d'être terminée.

Le cheptel bovin qui comptait 150 000 têtes en 1842 en compte 370 000 en 1935, soit plus du double.

Depuis la guerre 14-18, les bœufs de travail ont été remplacés par les chevaux. La traction mécanique apparait et le machinisme agricole se développe rapidement.

Le mode d'exploitation connu d'après l'enquête de 1929 donne en superficies cultivées :

  • Métayage : 40 %
  • Fermage : 25 %
  • Régie directe : 30 %

Avec l'exode rural, la main d'œuvre agricole manque pour des raisons qui ne sont pas nécessairement celles que l'ouvrage cité indique en concluant ainsi ce chapitre :

Avec le temps, que deviendra notre vieille race bourbonnaise dont tant de qualités et d'efforts ont embelli et enrichi notre région... » Et dans le texte, il ne s'agit pas du tout de la race charolaise l

L'INDUSTRIE

Les eaux minérales ont la priorité. VICHY a reçu, en 1937, 130 000 «  baigneurs » (on ne disait pas encore curistes) contre 6600 en 1853. Progression fulgurante ! La station est connue internationalement.

Le développement de NERIS a été beaucoup plus lent (6600 baigneurs en 1937). BOURBON arrive au 3ème rang avec 2400 baigneurs en 1937.

A noter que les chiffres du Conseil général donnent en 1939, pour les 3 stations un total de 155 000 « malades » selon son vocabulaire.

Depuis les plissements hercyniens, la bordure du Massif-Central recèle des gisements houillers mais c'est seulement à la fin du 18ème siècle que les premiers, ceux situés dans les Cotes Matras, entre Souvigny et Le Montet, ont été l'objet de concessions d'exploitation. Une partie de ces charbons était consommée à Moulins, mais la plus grande partie était expédiée à Paris par voie d'eau. Aux confins de la Combraille, à Commentry, Nicolas Rambourg obtient la concession du bassin qui va donner très rapidement un grand développement à l'extraction. Au 19ème  siècle, d'autres gisements sont ouverts à Doyet, Montvicq, Bézenet, Les Ferrieres. Mais leur déclin est très rapide.

A la veille de la guerre, il ne reste plus qu'une production totale de 130 000 t pour un effectif d'un millier de mineurs.

L'extraction de la houille a permis le développement de la métallurgie à MONTLUCON et COMMENTRY. En 1936, travaillent la Compagnie des Forges de Chatillon-Commentry-Neuves Maisons à Montluçon et Commentry, la Société des Hauts Fourneaux, la Société des Forges et Ateliers de Commentry-Oissel à Commentry. Ce sont les plus importants établissements mais il en existe bien d'autres. Enfin, entre les deux guerres se sont implantées en 1920, l'importante usine Dunlop (près de 5000 personnes) ; en 1921, Zéland et Gazuit ; en 1933, la SAGEM (Société d'Application Générale d'Electricité et de Mécanique) ; en 1939, Landis et Gyr (société suisse) qui existent encore et dont « Bourbonnais 39 » ne dit rien.

LES VOIES DE COMMUNICATION

Le département est alors traversé par deux grandes routes nationales Nord-Sud de Paris à Lyon et Méditerranée (N7) avec bifurcation à Moulins sur Clermont-Ferrandd et Perpignan (N9). La liaison transversale demeure compliquée.

Le réseau départemental présente une longueur de quelque 4000 km. Les chemins dits vicinaux restent à la charge des communes.

L'ensemble assure la circulation de l'époque.

Notre département est traversé par trois cours d'eau considérés alors comme navigables : le fleuve Loire et ses affluents Allier et Cher (ce dernier non cité par « Bourbonnais 39 »). La Loire n'a intéressé que très peu notre département. Le Cher n'a plus été utilisé depuis la fermeture du canal de Berry. Par contre, la rivière Allier a connu au siècle précédent une grande activité (12 ports entre Mariol et Le Veurdre).

La première voie ferrée construite a mis Moulins en relation avec Paris en 1853. Elle a été prolongée jusqu'à Clermont-Ferrand en 1855, puis sur Roanne par bifurcation à Saint-Germain-des-Fossés qui est devenu le grand carrefour ferroviaire du Centre. Peu après, Montluçon est devenu aussi un nœud important. Entre les deux guerres, des voies nouvelles ont été ouvertes mais les trafics voyageurs et marchandises, fortement concurrencés par les transports routiers, ont du être suspendus sur ces lignes toutes neuves.

Enfin, un réseau local de 17 lignes à voie étroite, géré par le Conseil général, a subi le même sort à la veille de la guerre, à l'exception de 2 d'entre elles (Moulins-Cosne et Cusset-Roanne).

LE TOURISME

Les nombreuses photos publiées par « Bourbonnais 39 » montrent avantageusement les richesses touristiques du département : les sites naturels, les vestiges du passé, les monuments plus récents, etc. qui incitent assurément à la visite.

L'ouvrage s'attarde longuement sur coutumes, traditions, fêtes, costumes, parler, arts, culture.

Il se clôt par un chapitre intitulé Organisation sociale qui s'ouvre sur une magnifique vue du nouvel hôpital de Moulins. On se félicite de l'action de nombreux organismes parmi lesquels les syndicats ont un rôle d'autant plus important et bienfaisant que la politique en est écartée ».

Si l'on examine la composition du comité d'honneur du livre, on constate que la politique n'en parait guère écartée. Trois ministres, actuel ou anciens, y figurent avec en tête celui des finances qui est en outre directeur-propriétaire du « Progrès de l'Allier », déjà bien lancé dans ses éditoriaux en chasse de sorcières. Un autre auteur sera bientôt ministre et finira mal. Nous les reverrons.

La situation politique.

 

AU CONSEIL GENERAL

Les Rapports du Conseil Général sont une source précieuse pour connaitre l'état d'esprit de l'assemblée départementale et celle de la population par le biais des nombreux vœux que présentent les conseillers, plus spécialement en cette période.

Au cours de la séance du 3 novembre 1938, le président CHAULIER (SFIO) évoque dans son discours d'ouverture les récents accords de Munich qui viennent d'être signés entre la France (Daladier), la Grande-Bretagne (Chamberlain), l'Allemagne (Hitler) et l'Italie (Mussolini). Ils prévoient entre autres l'occupation allemande d'une partie de la Tchécoslovaquie et risquent d'avoir de graves conséquences. Il s'interroge :

« La guerre a failli devenir une réalité. N'est-ce qu'un répit ? »

Il souligne les imperfections du traité de Versailles mettant fin à la 1ère guerre mondiale en 1919. Puis il en vient à l'action à mener mais parait sceptique sur l'union et sur la politique gouvernementale :

« L'union oui mais à condition qu'elle soit sincèrement conclue en vue de la sauvegarde de la France républicaine. Je souhaite que le gouvernement ne retombe pas dans les erreurs passées ».

Le communiste GAUME réagit aussitôt :

« Le traité de Versailles : les travailleurs ont toujours été contre. Munich a eu pour conséquence le démembrement de la Tchécoslovaquie. On n'a pas sauvé la paix à Munich, on a augmenté le potentiel des états totalitaires.

Le PC a toujours eu la même attitude depuis la dernière guerre. Je demande à tous les hommes de gauche de se dresser et de former une véritable défense contre le fascisme.»

DIOT (soc.), très idéaliste, marque à la fois sa convergence et sa différence :

« Munich a divisé les partis. La France pacifiste, la France du Front Populaire va prendre part à la course à la mort. » Il fait appel à la conscience universelle et déclare qu'il croit à la vertu des forces morales.

LEGER (rad.-soc.) rappelle que les radicaux sont passionnés de la paix. Or, les accords de Munich ne donnent pas satisfaction aux démocrates français. Mais les radicaux font confiance au Président du Conseil qui cherche par tous les moyens à défendre la paix.

THIVRIER (SFIO) déclare parler en son nom personnel. Le traité de Versailles est périmé et les socialistes n'ont aucune part de responsabilité dans la Société des Nations. Relisez « Mein Kampf : Hitler sait ce qu'il veut et où il va. Nous ne sommes pas satisfaits des accords de Munich. La puissance de l'Allemagne à l'heure actuelle est beaucoup plus redoutable qu'avant Munich. La guerre est une chose redoutable, effrayante, mais je tiens avant tout à la liberté. Consentirons-nous à la perdre ?

DORMOY (SFIO) précise d'abord qu'il ne peut souscrire à la thèse de DIOT. Nous luttons contre le fascisme intérieur, allons-nous accepter celui de l'extérieur ? J'estime que se pose actuellement pour la France le problème du maintien de la liberté. Je suis pour la défense du régime républicain et le maintien de la véritable paix.

RIVES (soc.) pense qu'à l'extérieur il faut grouper les démocraties. Un jour viendra où la France, même socialiste, sera contrainte de répondre à la force par la force. Nous sommes à la veille de faire un choix. Je souhaite que le gouvernement fasse ce choix.

Quelques observations sur cette discussion :

  • La droite est fort discrète. Ce qui explique ses hésitations.
  • Les socialistes qui sont largement majoritaires dans l'assemblée n'ont pas une vision commune des évènements et surtout de ce qu'il faut faire.
  • Les communistes sont dans leur logique pacifiste antifasciste clairement énoncée.

Quelques mois plus tard, le 9 mai 1939, le Conseil général est à nouveau réuni dans une importante séance.

Le président CHAULIER fait son traditionnel tour d'horizon. Sur la situation intérieure, il ne mâche pas ses mots :

« On ne peut nier que le gouvernement actuel soit une anomalie. Il est issu de la minorité et non de la majorité. Circonstance aggravante : il a les pleins pouvoirs en permanence.

Sur la situation internationale, anomalie également, mais tragique celle-ci. Il faut avoir le courage d'envisager la révision des traités. »

LEGER (rad.-soc., Vichy) adresse ses félicitations au gouvernement, particulièrement au président du Conseil DALADIER et au Ministre des Affaires étrangères BONNET.

FLOUZAT(soc.) annonce qu'il votera contre.

GAUME (com.) donne lecture d'une motion du PC.

DIOT (soc.) déclare qu'il était munichois à 100 % en septembre dernier et qu'il est maintenant munichois à 200 % parce que les accords de Munich ont sauvé la paix.

DORMOY (soc.) ne votera ni le texte LEGER ni le texte GAUME. Il n'accepte pas non plus le langage de DIOT contraire à la tradition du PS.

LEGER maintient sa motion.

PRADON-VALLANCY (rép.-soc.) rend hommage à DALADIER pour son courage à Munich.

BOYER (dém.pop.) aimerait un texte unanime.

BRUN (soc.) ne se rallie pas à la thèse émouvante de DIOT. Il ressent avec angoisse la gravité de l'heure.

THIVRIER (soc.) critique PRADON, puis répond à BOYER et à BRUN.

DORMOY n'est pas maintenant contre un texte d'union en cas de retrait pur et simple des motions radicale et socialiste.

GAUME rappelle l'opposition communiste au traité de Versailles et à l'occupation française de la Ruhr. Chamberlain n'a pas sauvé la paix. Il a sauvé le fascisme.

BOYER se dit heureux de la conclusion du débat.

Enfin, BONTEMPS (soc., venu du PS de France) tient à déclarer qu'il était munichois avant et qu'il l'est encore.

Le débat est clos sans vote (unanimité sauf les deux communistes GAUME et CHAUBIRON).

Puis vient la discussion sur les vœux qui vont occuper deux séances.

Un vœu de GAUME demande la remise en exploitation des mines du bassin de l'Aimance. Le Préfet (qui assiste alors aux séances) fait connaitre qu'il est intervenu auprès des ministres de la Guerre, de la Justice et des Travaux publics. THIVRIER ajoute qu'il est, lui, intervenu auprès du ministre des Travaux publics qui lui a répondu que la SNCF ne pouvait employer des charbons de mauvaise qualité. Le Préfet a également fait une intervention auprès de la Direction générale des mines.

THIVRIER résume la discussion, dépose un vœu protestant contre la politique charbonnière actuelle  et s'élève contre la façon dont les subventions sont accordées.

Il y a unanimité de l'assemblée.

Au cours de la séance du 10 mai, trois vœux sont présentés sur des problèmes plus généraux :

  • Vœu BRUN, GAUME et CHAUBIRON pour les réfugiés espagnols :

Que l'entretien des réfugiés espagnols soit à la charge de leur gouvernement par prélèvement d'or sur les réserves transportées en France ;

Que le gouvernement assure à leur égard un traitement humain et généreux ;

Que des mesures soient prises pour leur donner du travail.

  • Vœu GAUME-CHAUBIRON pour la paix :

Que le gouvernement de la France ne laisse échapper aucune occasion de consolider la paix.

  • Vœu GAUME-CHAUBIRON pour les allocations militaires :

Que soient accordés aux jeunes soldats rappelés, la formation professionnelle, le transport gratuit pour les permissions et surtout une allocation militaire à tous sans exception.

 

Résumons-nous.

Le département de l'Allier est alors à la fois industriel et rural comme beaucoup d'autres en France. Ses productions sont importantes. Sa situation géographique lui confère une position de carrefour, bénéfique en temps de paix mais plus aléatoire en temps de guerre. La ville la plus connue en dehors de nos frontières est certainement celle de Vichy (elle a reçu en outre des blessés militaires pendant les guerres 70-71 et 14-18), mais Montluçon la dépasse par ses capacités en industries militaires (l'usine Saint-Jacques a déjà travaillé à plein régime pendant la guerre 14-18 pour fabriquer des canons). Voilà des atouts qui peuvent aussi devenir des points faibles. On va s'en rendre compte bientôt.

Quant aux élus départementaux, ils sont partagés (on ne sait pas exactement dans quelles proportions) entre leur volonté de paix et de liberté, et leur confiance au gouvernement s'ils sont a droite ou leur défiance s'ils penchent à gauche.

Sources :

(1)     « Bourbonnais 39 », Editions Crépin-Leblond a Moulins, Imprimerie générale, 2 cours Sablon - Clermont-Ferrand, 1939.

Rapports du Conseil général de l'Allier (AD 03).

G. ROUGERON : Le Conseil général (t. 2), Grande imprimerie nouvelle, Montluçon, 1960.