Cinq années d'une vie tourmentée
1 De l'engagement à l'action
Militant à l'UJARF (Union des Jeunesses Agricoles Républicaines de France) dès 1938, Lucien Depresles adhèrera au Parti Communiste clandestin en novembre 1941. Auprès d'Armand Berthomier il participe au travail de réception et de diffusion de tracts et de journaux clandestins sur les communes de Meillard et Treban.
Après l'arrestation d'Armand Berthomier en janvier 1942, Lucien et ses camarades sont sollicités par Roger Fort de Lafeline pour le cercle de la Jeunesse et par Francis Miton de Bresnay pour le PCF clandestin.
Il poursuit avec eux le travail de propagande avec la distribution des tracts et des journaux. Lucien Depresles travaille aussi à la récupération des armes. Auprès de Tonio, un clandestin portugais qui travaillait avec Lucien à la ferme de Malfosse chez Jean-Louis Bidet et Françis Cognet, quelques paquets de tabac serviront de monnaie d'échange pour un premier révolver. Plus tard, en 1943, sachant que des armes récupérées par Fernand Thévenet à la débâcle avaient été transportées depuis chez Emilienne Bidet à Treban dans un chêne têtard dans un pré de Chapillière, Lucien Depresles les récupéra. Il y avait là , glissés dans la grosse branche creuse de l'arbre, sept fusils Lebel et un fusil mitrailleur modèle 24 modifié 1930. Lucien a confié les fusils Lebel aux combattants du Camp Hoche. Le fusil mitrailleur qu'ils trouvaient trop encombrant est tenu caché de mai 43 à avril 44 dans le tas de betteraves à la cave des Champs. Le tas diminuant au fil des jours, Lucien dut choisir une autre cachette ; il l'enterra dans une caisse en bas du champ près de la maison à 200 mètres du hameau. Edmond Petit qui connaissait la cache l'a ensuite fait parvenir au maquis de Saint-Eloi. Toutes les armes cachées n'avaient pas été reprises et utilisées, certaines ont été retrouvées plus de 20 ans après lors du remembrement avec l'abattage de vieux chênes têtards qui servaient de cache et qui ont alors délivré le secret de leur trésor de guerre !
2 Un guide pour l'installation du Camp HOCHE
Suite à de nombreux contacts d'Edmond Civade avec Tilou Bavay, c'est le secteur de Meillard qui sera choisi pour l'implantation du camp qui devait accueillir les clandestins du groupe armé de Montluçon ville grossi des jeunes empêchés de partir dans le train de la réquisition du 6 janvier 1943.
Suite à la sollicitation d'Edmond Civade, Lucien Depresles fait partager l'idée d'accueillir le maquis à son père Francis. Le 19 mai 1943, Georges Gavelle leur est présenté par Tilou Bavay. Georges Gavelle resta coucher à la ferme des Depresles dans une chambre de fortune aménagée au grenier pour les « passagers ».
Tilou Bavay était un habitué du village des Champs depuis plusieurs mois ; il y venait rencontrer Edmond Petit qui travaillait chez les Berthomier à la ferme d'en-bas.
Au petit matin du 20 mai Lucien Depresles a réveillé Georges Gavelle à 4 heures pour descendre dans les bois des Champs au fond de la vallée du Douzenan. Le lieu était sûr du côté nord, protégé par le village des Champs sur le plateau. Sans être aussi sures, côté sud, les fermes étaient tenues par des paysans qui ont su « tenir leur langue », même quand quelques signes laissaient supposer une présence au fond de la vallée.
C'est ainsi que s'est décidée l'implantation du Camp Hoche (répertorié par le Général de la Barre de Nanteuil dans son Historique des Unités combattantes de la Résistance de l'Allier sous le nom de « maquis de Saint-Pourçain »).
Georges Gavelle est resté chez les Depresles une bonne semaine pour vaquer à ses occupations de recrutement, en allant récupérer Joseph Huguet (dit Le Feu) à Bresnay par exemple.
Lucien Depresles s'occupe alors du ravitaillement des maquisards ; il va au Theil chez Gaston Faulconnier, à Lafeline chez Roger Fort ou encore à Besson chez Robert Joyon. Ce dernier fin juillet 43 avait eu un rendez-vous vers la Croix d'or… quand il y arriva au petit matin, la meule de céréales attendant la batteuse brûlait encore, des résistants, vraisemblablement un groupe de Bresnay, avaient ainsi puni des collaborateurs notoires.
De ses tournées, Lucien Depresles ramenait des légumes, quelquefois de la viande quand la tuerie du cochon en offrait l'opportunité. D'autres fois Lucien allait jusque chez Pelletier, à la coopérative à Saint Pourçain ; et là , avec pour mot de passe un point d'interrogation écrit dans la main, il rapportait un kilo 500 de viande ! C'étaient les mauvais jours, quand Lucien y allait le lundi alors que l'approvisionnement ne se faisait le mardi ! Plus tard les maquisards se débrouilleront seuls avec les abattages clandestins dans les fermes des environs et dont ils avaient connaissance. Les familles des Champs, Berthomier et Neuville participaient à l'approvisionnement du camp en volailles.
A l'approche de l'automne, quand le maquis a déménagé à Veauce, Gavelle et Huguet revenaient régulièrement aux Champs au ravitaillement… au point de se faire repérer par la grand-mère qui avait remarqué les visites d'un « grand élégant » et d'un « petit ». La quatrième famille du village, elle, n'était au courant de rien.
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3 Du légal en soutien logistique à la clandestinité.
Lucien Depresles est chargé de récupérer Jean Burles, responsable national du PC clandestin après son évasion de la prison du PUY ; il le prend en charge au domaine des Planches à Lafeline chez les Tabutin. Lucien le ramène aux Champs où il est logé chez Alphonsine Neuville.
C'est son frère Jean qui va convoyer Jean Burles jusqu'au Pont de Chazeuil en vélo une semaine plus tard pour le confier au responsable départemental du PC clandestin André Puyet avant de revenir à Meillard avec les deux vélos.
Lucien Depresles refuse de rejoindre les Chantiers de jeunesse dans le Lot et Garonne à Marmande où il est convoqué. Désormais trop exposé Lucien doit se protéger dans la clandestinité. Il part se cacher chez Francis Cognet aux Cantes à Cressanges début novembre 1943.
Lucien participe toujours au recrutement des FTP tout en travaillant à la ferme, clandestin sans carte d'alimentation… Certains contacts ne se concrétisent pas, Donjon à Monétay était déjà engagé, un autre hésitait.
Après le 21 mars 1944 (arrestation de sa mère et de sa sœur) Lucien revient aux Champs puis repart chez Pinet-Morgand au Petit Bout. Il restera ensuite 26 jours chez Auberger aux Bérauds à Tronget.
Le père Claude Desforges de Saint Plaisir lui offre alors l'hospitalité (il était lié d'amitié avec la famille Depresles par Gilbert Bidet -arrêté en 41, déporté à Buchenwald-, avec lequel il avait partagé un temps de la guerre de 14. C'est là -bas qu'un autre clandestin, dit l'Aigle, un montluçonnais venu se mettre au vert lui racontai comment il avait abattu le Chef de gare de Montluçon en l'attirant avec une femme…
C'est là aussi qu'il continue à prendre des contacts, avant de rentrer au maquis Danièle Casanova le 10 juillet. Il y retrouve les soixante-dix combattants installés à Renaudière et d'où ils partent en opération dans tous les environs.
Quelques jours plus tard, tout nouvel arrivant, il reste au camp avec Charles Léger (La Pipe) et son groupe d'une vingtaine de maquisards pendant le fameux périple du 14 Juillet. Les autres sont partis sous le commandement de Jean-Louis Ameurlain avec un camion benne, un petit car offert au maquis par un entrepreneur de Bresnay, une traction et quelques autres voitures réquisitionnées. Les arrêts de Treban, Cressanges, Chatillon, Souvigny, Besson, Bresnay, Châtel de Neuvre et Meillard sont l'occasion d'un affichage au grand jour des forces de la Résistance et d'une mobilisation des populations qui viennent les voir défiler.
Le lendemain un groupe de maquisards partait à Deux Chaises avec le petit car pour arrêter les membres d'un faux maquis qui réquisitionnait de force chez les habitants quand un accrochage se produisit à Chapillière. Alertés par le bruit, deux soldats allemands de garde au carrefour de Lafeline s'approchaient en vélo pour voir… « Sapin » se faufilant dans le fossé à l'abri de la haie a abattu un soldat Allemand… le second s'est échappé et a donné l'alerte.
Les Résistants rentrent au camp ; mais le soir même du 15 juillet, le camp sera attaqué, à la tombée de la nuit.
Les résistants sont repoussés au carrefour de Chapillière par les allemands armés de fusils mitrailleurs et de grenades offensives.
4 Une évacuation à haut risque et une errance de cache en cache.
Les balles passaient au-dessus de la maison de Renaudière… Georges Aurembout fait se replier le petit groupe qui tentait une sortie. Pris en tenaille, les maquisards devaient évacuer leur camp. Lucien Depresles, connaissant fort bien le terrain, prend le commandement de l'opération. Il conduit la petite cinquantaine de combattants par les sentiers qui lui sont familiers dans le bois. Puis c'est à travers champ et à l'abri des haies qu'ils s'éloignent. Traversant la route de Saint-Pourçain avec d'infinies précautions, ils rejoignent les bois de Peuron au milieu de la nuit. Ils y restent terrés jusqu'au lendemain soir avant de partir pour Besson dans les bois du Château de Bost où ils arriveront au petit matin du 17 juillet. Les combattants du maquis Casanova avaient déjà passé quelques jours fin juin à proximité du château avec la complicité bienveillante du Prince de Bourbon. Les combattants sont assoiffés et affamés ; dans le petit groupe de Lucien ils n'ont à partager qu'une maigre musette de ravitaillement pour huit. A la Vivère, chez Periot, trois ou quatre avaient trouvé un peu de réconfort avec une soupe à l'oignon au matin.
La nuit suivante, Lucien Depresles est de garde dans l'allée qui longe l'orée du bois face à la route Bresnay-Cressanges sur laquelle est passé le convoi des GMR et de la milice qui allaient à Noyant (ferme de Villars) pour y déloger au matin les maquisards du groupe Villechenon.
A ce moment-là Lucien Depresles ne pensait pas plus que ses camarades que les mêmes allaient revenir et les attaquer à la mi-journée. Les GMR de Pétain longeaient la forêt de Bois-Plan, le soleil brillait sur les casques…
Le déséquilibre des forces imposait la décision d'une dispersion pour échapper à l'encerclement.
C'est par petits groupes de 7 ou 8 que les résistants s'enfuient.
Le groupe de Lucien Depresles part vers Cressanges, des Vernasseaux vers la route de Moulins. Les maquisards remontent à l'abri des haies sous le feu des GMR. Ils profitent du couvert d'un champ d'avoine où les Barichards moissonnent. L'avoine les protège de la vue des assaillants ; mais au moindre mouvement qui faisait onduler l'avoine, les décharges de chevrotines pleuvaient… L'orage s'abat sur le champ d'avoine, vers 17 heures les ordres des forces de Vichy s'en vont, les résistants couchés dans les fonds des billons de cinq tours sont trempés jusqu'aux os ! Le groupe de Lucien, avec Georges Aurembout, trois ou quatre gars de Souvigny, et Jean Baptiste Frière pas très loin, accompagne Cussinet qui va faire soigner son pied criblé de chevrotines chez Chalmin au Village…
Les GMR ne quittent pas le chemin, c'est ce qui a sauvé les résistants dont les mitraillettes portaient au mieux à une vingtaine de mètres. Après être passés aux Gallards chez les Barichard, c'est une bonne vingtaine de plusieurs groupes qui vont trouver de quoi se réconforter au Village et dormir dans une maison abandonnée sur la paille à même le carrelage après cinq nuits sans sommeil…
Dès cette nuit les allemands avaient pris le relai de la police de Vichy pour surveiller tous les environs. Pour leur échapper et partir de là , les Résistants se séparent en groupes de deux. Avec un parisien originaire du Havre, Lucien part en direction de Châtillon puis au Petit Bout, un lieu sûr pour dormir à l'abri dans la grange pendant deux jours. Cette halte a permis après un contact de voir arriver le père Francis Depresles qui ramena son fils et une demi-douzaine d'autres maquisards aux Champs, pour les cacher dans les bois pendant une dizaine de jours.
Le 25 juillet un petit groupe part dans une maison aux Cailles de Besson (Lucien et Georges Aurembout, Jean-Baptiste Frière, Paul Létrillard, le parisien né au Havre, avec Lucien Depresles et Louis Allègre).
Deux jours plus tard le responsable du ravitaillement, Dory (qui sera fusillé à Saint Yorre), est arrêté avec Jules et Albert Berthon. Quenisset et Véniat informent les fuyards qui reviennent jusqu'aux Champs. Ils n'en repartiront que le 14 août pour le Roc à Treban près de la ferme des Avignon où ils passeront le 15 août.
5 Le retour à l'action
Avec Louis Allègre et Lucien Aurembout, Lucien Depresles va réquisitionner une voiture à Soupaize. Ils vont la cacher avant d'avoir à s'en servir quand ils devront rejoindre la région de Moulins.
Après un rendez-vous au Pigeonnier où Burlaud, et Sapin qui l'accompagnait en voiture, leur ont livré un camion, ils ont rejoint Coulandon le lendemain.
Avec ses camarades Lucien constituait une équipe volante, sans lieu d'attache fixe. Ils participent à une petite vingtaine à la rafle de la garde du pont Régemortes (huit soldats allemands pris avec leurs armes). Opération réussie les maquisards reviennent à la carrière de Meillers, cantonnés sous les baraques de chantier de la carrière. Ils se dispersent ensuite dans les fermes des environs vers la forêt et l'étang. Ils y restent, en occupant le château des Salles, du 25 août jusqu'au 6 septembre pour participer à la libération de Moulins.
Entrant dans Moulins après le départ des allemands, ils se cantonnent au Quartier Villars le premier soir où le commandant Brigand assure la défense de La Madeleine…
Le cantonnement se déplace ensuite à l'Ecole Normale au nord-est de la ville. C'est là que deux hommes d'un autre maquis sont venus chercher les 70 combattants en renfort pour encercler les Allemands à Saint Pierre le Moutier. Lucien avait dû rester au cantonnement.
L'Etat-Major des FFI-FTP regroupés avait ensuite commandé la récupération des armes des GMR cantonnés dans un château en Sologne Bourbonnaise ; Lucien Depresles participe à l'opération sous les ordres du commandant Brigand.
6 De l'action clandestine à l'engagement dans l'armée de la Libération.
La plupart des maquisards ont signé leur engagement pour la durée de la guerre ; l'Etat-major FFI FTP avait installé des formations pour les officiers et les sous-officiers à Châtel Guyon. En novembre 1944 Lucien Depresles y participe parmi les sous-officiers. Après deux mois de maladie suivis de deux mois de convalescence, Lucien rentre à la caserne à Montluçon en Juin 45 sans tirer aucun bénéfice de sa formation. Il fera fonction de sous-officier sans en avoir officiellement le grade. Le 5 août 1945 le groupement de Montluçon quitte son casernement. Envoyés par groupes de 200 jusqu'à Colmar les soldats sont distribués dans les compagnies de garde de prisonniers. Lucien Depresles arrive ainsi à Saint-Louis près de Bâle, dans une ancienne usine de pièces d'aviation où 3000 allemands sont gardés prisonniers. Avec trois officiers et une vingtaine d'autres soldats Lucien sera leur gardien. Le rythme de 24 heures de garde pour 24 heures de repos s'impose faute d'effectifs suffisants.
C'est là que Lucien Depresles, faisant fonction de sergent-chef sans avoir vu son grade reconnu, sera démobilisé fin novembre 1945.
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