Au début de 1943, je travaillais à la charcuterie JOUANNET, place Bretonnie à Montluçon et âgé de 22 ans, je fus requis pour le Service du Travail Obligatoire en Allemagne.
Naturellement, il n'était pas question de partir et j'envisageais de rentrer chez mes parents à Saint Hilaire où j'aurais trouvé un moyen de me camoufler lorsque je trouve un copain : Georges HARTER. Cet Alsacien avait de faux papiers au nom de Melotte et me dit qu'il connaît une filière pour rejoindre l'armée française en Afrique du Nord en passant par l'Espagne.
C'est à l'Hôtel GOBARD, rue de Bruxelles à Montluçon que nous devons prendre les renseignements. Là, nous trouvons un autre camarade qui est dans notre situation : Pierre TRIPARD.
Le 15 mars 1943, à une heure, tous les trois, nous prenons le train mais tout ne se passe pas comme nous le pensions.
Tout d'abord, à Toulouse, nous ne trouvons pas la personne que nous devions rencontrer.
A Perpignan, au restaurant Franc, on nous envoie au dépôt des machines à la gare, les cheminots ayant déjà fait franchir la frontière mais ce n'est plus possible !
Au restaurant Franc, nous trouvons deux camarades qui cherchent aussi à passer la frontière espagnole : Auguste BOULANGER et Désiré TRUWANT. Ils sont originaires du Nord Pas de Calais. Faits prisonniers en 1940, ils se sont évadés d'Allemagne et en dernier, travaillaient à Montluçon.
Ils partent de leur côté et nous, nous allons à une autre adresse, à Le Boulou. Nous y partons en car mais, à l'arrivée, deux soldats allemands contrôlent les papiers. Nous nous éclipsons par la porte arrière du car où les passagers prennent leurs bagages, nous avons eu chaud !
Au restaurant indiqué, le patron nous renvoie à Perpignan au café de l'Esplanade ; nous revenons à pied à Perpignan, distant de 21 km, car nous sommes en zone interdite. Au bout de quatre ou cinq kilomètres, nous nous arrêtons dans un petit village, Banyuls dels Aspres pour manger et coucher si possible, il fait déjà nuit.
Nous entrons dans un café mais le propriétaire refuse de nous recevoir car il a déjà eu des ennuis avec la police allemande. Repartis à pied, nous avons fait à peu près cent mètres lorsqu'une femme nous appelle pour nous dire que le prêtre laisse l'église ouverte afin d'abriter ceux qui ont besoin d'un toit pour la nuit.
Nous allons donc nous coucher dans l'église mais vers deux heures du matin, saisis par le froid, nous reprenons la route de Perpignan et sans faire de mauvaise rencontre, nous arrivons vers six heures trente.
Au café de l'Esplanade, le patron nous dit que la filière ne fonctionne plus et qu'il est maintenant impossible de passer la frontière. Les cheminots que nous retournons voir nous donnent une adresse à Elne.
Là, le patron nous dit que maintenant, il est impossible de passer la frontière, les Allemands disposant de chiens. Le moral est au plus bas.
Au bout d'un moment, voyant notre désarroi, le patron nous dit : « Je vais demander à quelqu'un de venir vous voir, c'est un commissaire de police en qui vous pouvez avoir toute confiance. » Celui-ci nous dit qu'il connaît un passeur à Laroque des Alberes qui pourra nous aider. C'est Monsieur SOLER. Le moral remonte quand nous voyons arriver les deux copains que nous avions vus à Perpignan, BOULANGER et TRUWANT, harassés et démoralisés. Tous les cinq, nous passons la nuit dans une ferme où nous sommes très bien reçus et le lendemain, 18 mars 1943, tous les cinq, nous prenons le car pour Laroque des Alberes, un petit village juste au pied des Pyrénées en zone interdite.
En cours de route, deux gendarmes français montent dans le car et vérifient les papiers. Ils nous disent que les Allemands contrôlent à la descente du car et le chauffeur nous fait descendre avant d'arriver au village, vers le cimetière.
Nous voyons une dame, poussant une brouette qui vient de laver du linge à la rivière, avec son fils âgé de six ou sept ans. C'est justement la femme de M. SOLER. La filière fonctionne bien.
Elle nous dit de nous cacher dans le cimetière où son mari viendra nous voir à midi. M. SOLER arrive vers midi et nous explique qu'étant très surveillé, il ne peut pas nous passer mais qu'il va nous expliquer le chemin à prendre. Pour cela, il emmène Pierre TRIPARD avec lui et l'après-midi, ils vont dans la montagne.
Nous allons nous cacher dans un taillis voisin.
Vers vingt heures, M. SOLER arrive avec son fils qui a dix-sept ans et TRIPARD ainsi qu'un autre passeur. Ils nous font traverser le village par un chemin détourné et à vingt et une heure trente, nous sommes prêts à attaquer la montagne.
Nous devons contourner le Roc du Midi et passer au sommet du Pic Noulos à 1257 mètres. Nous quittons nos guides en les remerciant chaleureusement et ils nous souhaitent bonne chance.
Après bien des efforts, dans la neige, nous arrivons au sommet du Pic Noulos et comme l'avaient dit nos guides, nous voyons le faisceau de lumière du phare de Port-Bou, il est trois heures trente.
La descente sur l'Espagne est beaucoup plus abrupte et en bas, après une pose, nous repartons vers neuf heures. Mais bientôt, nous tombons sur les gardes civils espagnols qui nous emmènent à l'Armada Guarda Civil des frontières de Cantalops. Le lendemain, 20 mars 1943, nos gardiens nous emmènent à la Junquera puis à Figueras, à la prison, où nous resterons deux mois.
Le 18 juin, on nous emmène dans une petite station balnéaire : Caldas de Malavella où nous sommes logés dans les hôtels, en liberté surveillée. C'est quand même mieux que la prison.
Le 13 juillet, nos hôtels sont encerclés par les gardes civils et on nous embarque dans des wagons à bestiaux pour le camp de concentration de Miranda de Ebro où nous arrivons le lendemain 14 juillet 1942. Nous y resterons quatre mois avec comme en prison, les poux, les puces, punaises etc… et en plus la dysenterie.
Au camp de Miranda, la Croix Rouge est venue nous voir, pour savoir ce que nous voulions faire. Pour nous, pas de problème, nous voulions rejoindre l'Afrique du Nord.
Enfin, le 12 novembre 43, je suis sur la liste des partants avec TRUWANT. HARTER, TRIPARD et BOULANGER sont partis avec le convoi précédent.
La Croix Rouge nous prend en charge et nous prenons le train pour Malaga où nous arrivons le 14 au soir.
Nous couchons dans les arènes et le lendemain, nous embarquons sur deux bateaux français, le Gouverneur Général Lépine et le Sidi- Brahim.
Je suis sur le Lépine, à fond de cale, ce n'est pas très confortable mais nous sommes heureux de quitter l'Espagne où nous venons de passer huit mois. Nous avons eu beaucoup de chance, car beaucoup de prisonniers ont fini leur tentative d'évasion de la France dans des camps de concentration allemands.
Escortés par des bateaux de guerre français, nous passons le détroit de Gibraltar et arrivons le 16 novembre au soir au port de Casablanca. Le lendemain, on nous emmène au camp de Médiouna, à quinze kilomètres de Casablanca pour les formalités diverses.
Je m'engage pour la durée de la guerre et suis versé dans l'artillerie de l'Air. le 30 novembre, je pars pour Tipasa (Algérie) dans un dépôt-école.
Durant le voyage, cinq jours en train, mon paquetage disparaît ainsi que celui de deux copains. Nous ne sommes pas très fiers mais enfin tout se passe bien.
Par la suite, je suis affecté à la détection électro-magnétique (les radars) au Bataillon de D.E.M. 553 (1ère Armée).
Le 10 novembre 1944, nous embarquons sur des bateaux américains à Mers El-Kébir et, en convoi, nous partons pour la France où nous arrivons le 17 novembre, à Marseille. Nous sommes cantonnés à les Milles (Bouches du Rhône) et au mois de janvier 45, nous partons en Alsace.
Le 8 mai 1945, je suis à Mulhouse et nous partons en occupation en Allemagne.
Je suis démobilisé le 20 août 1945.
Je reviens chez mes parents à Saint Hilaire.
Famille incomplète, mon frère Roger a été tué à Bouillole.
Je trouve du travail en charcuterie à Moulins pendant quelques mois puis à la mine de Saint Hilaire au début de 1946.
J'ai appris par la suite que nos passeurs M. SOLER Louis et son fils Michel avaient été déportés à Buchenwald Dora où ils sont décédés en 1944. (13)
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